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cie stanislaw wisniewski
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25 novembre 2008

Extrait de l'émission "Tempête sur les

 

 

 

Extrait de l'émission "Tempête sur les planches" en direct sur Radio Libertaire le 25/02/2007

 

Thomas Hahn reçoit Cécile Pégaz et Stanislaw Wisniewski au sujet de la chorégraphie 

 "Le monde septembrisait en octobrisant lentement vers novembre"

 

(…)

- Thomas Hahn : Nous allons maintenant faire connaissance avec le rock polonais et la danse contemporaine française : Cécile Pégaz et Stanislaw Wisniewski, Stanislaw Wisniewski qui est chorégraphe, et Cécile qui est son interprète, et tous les deux viennent de Lyon... Je vous salue (…) Stanislaw, qu'est ce que c'est cette musique ?

 

- Stanislaw Wisniewski : C'est la musique d'un groupe polonais pop rock qui s'appelle "Myslovitz". Le titre est "To nie byl film", en traduction "Ce n'était pas un film". C'est un groupe connu en Pologne et qui interprète des textes d'auteurs. Cette chanson raconte l'histoire d'un garçon qui se promène dans la rue…il s'ennuie… il essaie un peu d'occuper son temps… et pourquoi pas s'inspirer de films de séries B, ou du cinéma américain…et prendre un fusil, et tuer des belles filles qui ne font pas attention aux jeunes gens comme lui…

 

TH : Alors est ce que tu as fait ce solo pour un public français ou pour un public polonais ? Est ce qu'il y a une importance pour les polonais qui vivent en France, ou pour le public polonais quand vous jouez en Pologne, à comprendre les paroles ?

 

SW : Je pense que oui… parce qu'évidemment le texte véhicule une situation très claire donc on est moins dans quelque chose d'abstrait ou imaginatif… mais je pense que mon choix était plutôt universel donc je ne me posais pas de question à ce sujet…

 

TH : Alors pour le public français… il est assez ouvert de se faire une idée du personnage qu'on rencontre…Et la rencontre est forte !

 

SW : Oui je crois, avec l'expérience maintenant du spectacle qu'on a déjà joué, que la musique est vraiment très bien accueillie… et au contraire : porteuse… Tout le monde peut se trouver dedans, ressentir ou vivre des choses propres à chacun…C'est un peu aussi ma démarche : il ne s'agissait pas de donner une musique uniforme mais justement par des sonorités, réveiller nos sensibilités, susciter une réflexion…

 

TH : …C'est la musique (extrait)… Par contre elle passe en boucle… Alors le problème pour quelques spectateurs, c'est ça… Il faut dire que ce n'est pas un spectacle totalement facile. C'est un spectacle radical. (…) C'est un spectacle qui demande un peu d'investissement du spectateur… C'est quelque chose qui va au bout… Ca fonce…! Et c'est très curieux pour nous en tant que spectateur qu'on nous rejoue une sorte de boucle musicale… et une boucle chorégraphique aussi… une fois et une deuxième fois, troisième fois, quatrième, et encore et encore… Mais par contre, Cécile est tellement impressionnante qu'on ne s'en lasse absolument pas… surtout qu'il n'y a pas une simple répétition : il y a aussi une évolution, des changements, des états… Qu'est ce que tu peux nous en dire Cécile ?

 

- Cécile Pégaz : En fait, je pense que la chorégraphie est là un peu comme un emploi du temps… comme dans la vie de tous les jours… On va déjeuner, on va travailler… Et là, je fais tel mouvement après tel mouvement, mais finalement après elle passe au second plan… C'est les détails qui changent, simplement de l'être du moment, et ils ressortent… plus que la forme de la chorégraphie.

 

TH : On pourrait y voir éventuellement un artiste qui nous parle, dans l'autre sens du terme, de répétition : comment on sue… on transpire… quand on répète un spectacle encore et encore…

 

CP : Oui, mais en fait, pour moi, c'est aussi une seule phrase entière, autre que la boucle qui se répète… C'est une vie de A à Z.

 

TH : Alors comment est-ce que tu fait sur scène pour avoir ces yeux complètement noirs comme deux trous, comme deux trous noirs dans l'univers ?

 

CP : Je ne le fais pas. Ils viennent tous seuls…

 

TH : Stanislaw, elle fait comment ?!?

 

SW : Je crois qu'au début… c'est vrai que c'est une pièce radicale… Bon, on peut le dire aujourd'hui, oui... Mais au moment où on la créée, c'est des sentiments, c'est des envies qui nous poussent un peu à aller vers là… Et c'est vrai qu'elle a cette faculté d'aspirer le spectateur, de s'engouffrer… mais pas de s'engouffrer vers elle, mais je pense s'engouffrer vers nous-même. Et moi, la boucle de la chorégraphie, je peux la comparer à une respiration… On est obliger de toujours reprendre de l'air pour vivre... C'est une manière décalée de montrer

 

la vie, cette respiration nécessaire, et en même temps aussi de se questionner… parce que moi-même, hier soir, je me posais des questions aussi par rapport à ce qu'on fait et ce qui se passe sur le plateau. Et aussi, c'est un spectacle qui circule entre le plateau et les spectateurs… donc des fois on sait plus où se situer…

 

CP : En fait, le personnage que j'incarne est un peu comme une éponge de la société… parfois victime parfois bourreau… victime de ses désirs de ses pulsions… Il y a donc différentes choses qui passent à travers moi, et qui sont très différentes.

 

TH : On a l'impression que la fille essaie de s'arracher à quelque chose, mais que quelque chose aussi l'oblige à toujours continuer, toujours reprendre… C'est un cercle vicieux, il y a là quelque chose dont elle n'arrive pas à sortir et elle est obligée… Moi, ça me fait penser à l'univers de Sarah Kane. Ca me fait penser à la folie, aux problèmes d'amour, à la drogue, avec quelque chose de totalement obsessionnel dont on arrive pas à sortir…

 

CP : Oui, c'est la boucle aussi qui crée ça. Parfois, j'agis. Parfois je subis. Enfin, j'agis… pas vraiment… c'est un peu comme de la survie en fait…

 

TH : Il y a une part de rêve, une part de souffrance… beaucoup même ! Et je me disais, c'est un peu comme si tu étais Gisèle et la Wilis en même temps : la Gisèle qui sombre dans la folie et la Wilis qui est condamnée à danser sans jamais pouvoir s'arrêter…

 

CP : Oui, il y a ces deux faces en fait du personnage.

 

TH : Vous êtes aller jouer en Pologne et vous avez fait une expérience avec le public qui était un peu différente d'ici.

 

SW : Oui, le public polonais était beaucoup plus spontané et actif C'est vrai que la salle était comble, il y avait 250 spectateurs au moins… et on a vécu une sorte de partage du monde… Il y avait les gens pour et contre. Et c'était très visible et audible… et en même temps Cécile continuait… Elle continuait, et continuait… C'est un spectacle éprouvant, je pense, pour tout le monde.

 

CP : Et du fait qu'il comprenaient la chanson, ils étaient d'autant plus enfermés dans le processus parce qu'ils avaient plus de limites, et il y avait peut-être moins de mystère…

 

SW : En même temps, ils ont vraiment apprécier ce radicalisme…Il nous ont demandé si on faisait exprès… Moi, comme je l'ai expliqué, on fait pas des pièces "exprès"… A un moment elle est venue, elle est née… Des fois justement, ils nous demandaient même plus que ce qui arrive… c'est à dire que ça dépassait ma propre imagination, mes propres émotions qui naissent sur le plateau…C'est aussi ce qu'on a ressenti du public polonais : c'est que ça prend des proportions… C'est comme une caisse de résonance de notre bouillonnement intérieur. C'est ce que crée cette pièce-là : on perd la notion de tout quelque part, du temps, des règles, des choses préétablies... On croit qu'on saisit au début, et après chacun la vit personnellement…

 

TH : Il m'arrivait souvent quand j'étais jeune de mettre un disque ou d'écouter une chanson trente fois parce qu'il y avait quelque chose d'obsessionnel… C'était tellement beau, ça me faisait tellement exploser de l'intérieur, et puis : impossible de s'arrêter, on s'enfonce dedans de plus en plus, on a l'impression… Mais après, Cécile fait une petite pause. Elle mange un truc. Et puis elle redémarre. Elle est un peu comme revigorée. Je sais pas, est ce que j'ai bien saisi ça hier, que le personnage redevient un peu plus combatif…?

 

CP : C'est un peu placebo en fait. Je crois que j'ai plus d'énergie mais c'est pas vraiment le cas…

 

TH : Ca passe par différents états cette boucle, par quelque chose de violent parfois, par un désespoir, par une un envie de s'envoler…?

(…)

On ne sait plus à un moment si on a vu trois, quatre ou cinq boucles, ou juste une seule… La petite boucle a l'air de devenir une grande boucle et de se superposer… et les repères dans le temps se perdent…

 

CP : Oui même moi je suis obligée d'avoir des repères pour les compter parce qu'on a des "top" ensemble… Je suis vraiment obligée d'avoir des images pour compter les changements…

 

SW : Evidemment, la "perdition" est un point de vue important dans cette pièce. Mais pour nous, il s'agissait vraiment de faire une œuvre accomplie. Il y a un début, il y a une fin… La pièce est conçue de façon à ce que tout se perde au dedans. Mais si on revient à la réalité, elle dure 45'. Mais c'est vrai qu'on peut voyager dans tous les sens… dans le sens du temps… et aussi de l'espace… parce que même sur le plateau petit, elle pousse, elle pousse, elle pousse ses murs… et à vrai dire elle pousse nos esprits, nos têtes…C'est comme ça que ça se passe.

 

 

 

 

TH : Ce n'est pas une boucle dans le sens où Cécile danserait tout en rond. Mais elle croise le plateau, et va dans toutes les directions, mais ça se répète… Mais quand même, l'idée de la boucle, c'est aussi un peu l'idée du vertige…

 

SW : On se rend compte que cette boucle aussi elle génère une énergie… Ca donne une vitesse… Elle amorce chaque fois quelque chose de nouveau …

(…)

 

TH : "Le monde septembrisait en octobrisant lentement vers novembre"… On se disait que c'était un peu compliqué pour dimanche matin, mais là il est 15h34, et on pourrait être réveillé suffisamment pour pouvoir en dire quelque chose, Stanislaw ?

 

SW : C'est un titre que j'ai emprunté à un auteur polonais Witkiewicz qui écrivait des pièces de théâtre, des textes, entre les deux guerres. Je l'ai tiré d'un livre…

 

CP : "L'unique issue" en français, c'est un roman…

 

SW : J'apprécie beaucoup cet auteur. Il était aussi radical dans ses pensées, dans ses choix et dans sa vision du théâtre. En même temps, il y a ce côté cyclique du temps qui passe… qui revient… Il y a aussi cet aspect qui se dégrade… dans le sens presque de pourrissement… : "Le monde septembrisait en octobrisant lentement vers novembre"… Novembre, c'est le mois le plus triste en Pologne… On passe par cet automne doré… Après les choses ne peuvent que renaître, c'est une amorce…

 

CP : Un cycle…

 

TH : Souvent, il est difficile dans les spectacles de danse contemporaine, quand c'est pas le ballet où c'est le personnage principal qui donne le titre au ballet. Dans la danse contemporaine, on a souvent un peu de mal à trouver un titre qui colle. C'est très très libre… Mais ici, je trouve que ça colle bien parce que ça parle du temps justement. Ca a aussi quelque chose de cette boucle, de ce temps qui se dilue… "Le monde septembrisait en octobrisant lentement vers novembre"… Il y a déjà cette boucle…

 

CP : Oui, la boucle, c'est vraiment l'horloge aussi, le temps qui ne s'arrête jamais en fait…

 

TH : Vous avez une petite référence à Gilles Deleuze Différence qui parle de la répétition, dans "Différence et répétition" où il dit que "C'est dans un même mouvement que la répétition comprend la différence, non pas comme une variante accidentelle et extrinsèque, mais comme son cœur." Comment tu le ressens par rapport à ça, Cécile ?

 

CP : C'est vrai que dans cette boucle chorégraphique qui se répète…

 

TH : ..Alors répétition ou différence ?!

 

CP : C'est la différence qui ressort d'autant plus, les détails… comme l'essentiel de la pièce, plus que la forme chorégraphique elle-même qui se répète.

 

TH : On a vraiment le temps de tout éplucher avec les yeux… chaque geste…

 

CP : Les changements ressortent en fait…

 

TH : Absolument. Et puis ça se passe dans une telle proximité avec le public aussi, qu'il y a une sorte de magie… On est emporté, absorbé complètement… Donc c'est pas neutre… C'était fait pour un petit espace, et je pense que c'est très bien dans un petit espace.

 

Vous venez tous les deux de Lyon... Vous pouvez nous dire un peu ce que vous faites autrement à Lyon ?

 

SW : On est une compagnie de danse contemporaine installée à Lyon avec des liens privilégiés avec le Centre Culturel Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin où j'ai créé mes principales œuvres régulièrement. On s'est essentiellement produit dans la région lyonnaise, et à l'étranger, et bien évidemment en Pologne. On mène la vie d'une compagnie qui doit s'impliquer dans un travail socio-culturel, chercher des spectacles, chercher de l'argent, exister, co-exister, continuer…

 

TH : Merci beaucoup… Alors c'est un spectacle… comme on l'a dit… pas tout à fait facile. C'est un spectacle qui pousse jusqu'au bout… qui est une expérience radicale… Mais c'est quand même de la danse… Vous voyez une danseuse magnifique… C'est une expérience qui secoue et qui bouleverse pas mal de choses en ce qui concerne la perception du spectacle, la perception du temps, la perception de soi-même peut-être aussi…

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